Article publié le 09/10/2019

Un soupçon de bulles fait frissonner la surface du lac ; une bouteille apparaît subitement et se fait doucement bercer jusqu’à la berge du plan d’eau, comme déplacée par une main invisible.

Cet exploit est le fruit d’une collaboration entre l’entreprise québécoise « Canadianpond » et trois néerlandaises : Francis Zoet, Anne Marieke Eveleens, and Saskia Studer. L’objectif : endiguer la pollution plastique dans l’Océan, en l’empêchant tout d’abord d’y parvenir. Leur invention retient les déchets plastiques aux embouchures des fleuves afin qu’ils puissent être facilement recueillis et recyclés.

Effectivement, les rivières déversent dans les océans jusqu'à quatre millions de tonnes de plastique chaque année – dont 90% proviennent exclusivement de dix fleuves. Huit de ceux-ci sont localisés en Asie, notamment le Yangtze, le plus long fleuve d’Asie, ainsi que l’Indus ; ensemble, ce sont les deux plus grosses voies de pollution océanique. Ingestion de microfibres de plastique toxiques, perturbation de la chaîne alimentaire marine, et enchevêtrements d’animaux… le flux de déchets plastiques a des conséquences nocives importantes sur la biologie marine et la santé humaine.

La solution : un tuyau percé capable de projeter des bulles vers la surface, créant ainsi un « mur » qui va guider les déchets vers la berge, où ils seront récoltés par des bénévoles et recyclés.  Cela empêchera les déchets plastiques de gagner la mer où il sera bien plus difficile de les récolter.

Selon Mario Paris, fondateur de Canadianpond, le plus grand défi était de développer une technologie pour protéger les tuyaux contre l’inondation. Lorsqu’il prend connaissance du projet « The Great Bubble Barrier », il propose aux trois néerlandaises un partenariat. « Je les ai contactées immédiatement. Je leur ai dit : ce que vous voulez faire est génial, mais vous allez vous casser la gueule avec votre tuyau percé… Le produit, on l'a. On va vous le fournir et faire le design pour votre installation », raconte Mario Paris.

Certains chercheurs sont moins séduits. Le biologiste Peter Sorenson, par exemple, s'inquiète pour la faune locale : la présence des bulles pourrait produire une stimulation visuelle et auditive perturbante. « Il serait naïf de lancer [des rideaux de bulles] dans l'eau et s’imaginer qu'ils n'auront aucune conséquence sur les organismes environnants » prévient-il. Il faut tout d’abord mener davantage de recherches précises pour s’assurer que le projet n’aura pas d’effets néfastes sur l’écosystème aquatique.

Entre temps, d’autres technologies ont été mises au point dans l’espoir de trouver une solution aux déchets plastiques sans nuire à la faune marine. Le « Mr Trash Wheel » de Baltimore aux États-Unis, par exemple, est équipé d’un système de râteau et de convoyeur qui extrait les déchets et les débris flottants de la rivière et les dépose dans une benne à ordures. En principe, la machine fonctionne suffisamment lentement pour que la faune - notamment les poissons, les anguilles et les canetons - puisse s’écarter avant de se retrouver dans la benne. En revanche, la taille de l’engin peut parfois entraver l’accès à la mer des bateaux plus volumineux, ce qui réduit la viabilité de la machine dans des secteurs plus commerciaux.

« The Great Bubble Barrier » représente donc une innovation au moment opportun. En revanche, elle est toujours à la recherche de sponsors permanents pour le déploiement des rideaux de bulles à l’échelle mondiale. En avril 2018, l’équipe a lancé une campagne de financement à cet effet, sollicitant des dons d’organisations aussi connues que « Plastic Soup Foundation » ou « By the Ocean we Unite ».

Il reste encore à décider du sort de ces déchets une fois ceux-ci récoltés. Mr Trash Wheel, pour sa part, peut fournir de l’électricité à 16 domiciles par jour pour chaque tonne de déchets recueillie. Une autre solution serait de mélanger le plastique au bitume : cela permettrait aux entreprises de compenser le coût élevé du recyclage par celui encore plus élevé du bitume, qui exige moins d’entretien et bénéficie d’une plus longue durée de vie que l’asphalte. Cette valeur ajoutée pourrait encourager davantage une dépollution des océans plus soutenue dans le secteur privé.
Cependant, M. Paris précise bien que la lutte contre la pollution plastique doit se faire en amont si elle se veut efficace. Par où commencer ? Mario Paris ainsi que l’équipe de « The Great Bubble Barrier » insiste sur la réglementation, ainsi que les initiatives locales.Comme il l’explique  : « Nous ne sommes pas la solution à la pollution. Nous sommes le dernier recours ».