Accueil> Toute l'actualité>Observateurs de pêche : un métier à hauts risques Observateurs de pêche : un métier à hauts risques Retour vers « les actualités » Article publié le 16/01/2025 La pêche illégale, non déclarée et non réglementée, dite pêche INN est non seulement nuisible pour l’environnement, mais également et directement pour les humains. Outre les problématiques de sécurité alimentaire pour les populations locales, la pêche INN pose un grave problème social, notamment vis-à-vis des observateurs embarqués. La Fondation de la Mer a sorti en novembre 2024 un rapport sur la pêche illégale, assorti de préconisations pour lutter contre ce fléau mondial. Les observateurs sont généralement des scientifiques marins ou des biologistes, embauchés pour collecter des données et surveiller le respect des lois et règlements de pêche par les capitaine et les équipages des navires de pêche, dans le but de soutenir la gestion durable des ressources halieutiques et de protéger les espèces marines en danger. Les institutions locales, régionales et nationales de gestion des pêches peuvent ensuite utiliser les données collectées par les observateurs pour évaluer les populations d’espèces marines, contrôler la surexploitation et limiter les prises accessoires, c’est-à-dire la capture accidentelle d’espèces non ciblées. La National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) Fisheries décrit les observateurs comme “nos yeux et nos oreilles sur l’eau”, jouant un rôle essentiel dans la gestion durable des ressources halieutiques. En pratique, les observateurs ne sont pas envoyés directement sur les navires par les gouvernements afin de faire contrôler les lois et règlements en vigueur, mais par des intermédiaires que constituent les entreprises mondiales d’observateurs, telles que MRAG, CapMarine et SeaExpert, sur lesquelles les ORGP (Organisations régionales de gestion de la pêche), l’Union européenne et d’autres pays s’appuient. Un métier à hauts risques Les observateurs sont donc la clef de voûte de la mise en place effective des lois et règlements de pêche par les navires mais également l’un des seuls leviers de contrôle, ce qui rend leur situation et leurs missions délicates, voire particulièrement dangereuses. En raison de la nature même de leurs missions, les observateurs sont parfois sujets à de mauvais traitements à bord des navires, similaires à ceux subis par les équipages : discriminations, souvent à caractère raciste, manque d’hygiène grave pouvant entraîner des problèmes de santé et sévices physiques impliquant des agressions sexuelles dans certaines flottes, majoritairement subies par les femmes. Quatre observatrices canadiennes ont décrit avoir été “plongées dans un enfer de harcèlement sexuel, d’agressions, d’intimidation, de menaces et de maltraitance animale horrifiante, tandis qu’ells regardaient impuissantes”. Ces femmes ont accusé la compagnie intermédiaire Archipelago Marine Research d'avoir failli à sa mission de protection, ce que la compagnie nie fermement. La faible rémunération des observateurs, combinée au travail difficile qu’ils effectuent dans des conditions dangereuses, pousse de nombreux professionnels à quitter leur emploi, ce qui explique qu’on estime qu'il y aurait seulement 2 500 observateurs à travers le monde. Ces conditions les rendent également vulnérables à la corruption. C’est précisément ce risque de corruption qui a poussé l’Ifremer à imposer à ses prestataires, à partir de 2020, une liste de bateaux tirés au sort à contacter obligatoirement, car les observateurs allaient toujours vers les mêmes navires, sur lesquels ils bénéficiaient de plus de confort et parfois d’ententes sur les chiffres du rapport final, faisant perdre celui-ci en véracité et en représentativité. Enfin, il existe dans cette profession, de nombreux cas de décès suspicieux, voire de meurtres avérés. L’Association for Professional Observers dénombre 23 décès d’observateurs entre 1990 et 2023, de toutes nationalités et pour des raisons souvent inconnues : disparition, noyade ou encore maladie non précisée. Les décès d’observateurs embarqués ne sont pas traités suffisamment sérieusement. Ils révèlent pourtant l’ampleur des enjeux économiques et sociaux de la pêche INN. Le dernier observateur à avoir été inscrit sur cette liste est Samuel Abayateye, observateur ghanéen, disparu en 2023. Ce décès dramatique s’inscrit dans une lignée de faits similaires. Selon Julien Daudu, porte-parole d’Environmental Justice Foundation : “les délits environnementaux vont bien souvent de pair avec des abus des droits humains, des violences, des menaces et de la corruption”. Un financement opaque et sujet aux conflits d'intérêts Ces compagnies intermédiaires peuvent créer des conflits d'intérêts ainsi qu’un manque de transparence. Le paiement de celles-ci peut se faire de plusieures manières, dans certains cas il s’agit de subventions gouvernementales mais dans la majorité des cas c’est l’industrie de la pêche qui paie ces frais d’observateurs via une taxe sur les captures débarquées (appelée “taxe ex-vessel”) ou en rémunérant directement la société d’observateurs par l’opérateur du navire de pêche. La problématique du financement des observateurs, directement par l'industrie de la pêche, est centrale, mais également largement problématique. Comment espérer obtenir des observateurs des informations transparentes, véridiques et libres si ceux-ci sont directement rémunérés par la société qu’ils doivent potentiellement critiquer dans leurs rapports ? Cela pose la question du conflit d'intérêts et de la restructuration du financement de ces acteurs, essentiels dans la lutte contre la pêche INN. Au Canada, pays plutôt avancé sur la question de la protection des observateurs, les rapports des observateurs doivent être transmis au ministère de la pêche afin qu’il s’assure que les activités de pêcherie dans ses eaux sont légales et soutenables. Le Canada impose également la présence d’un observateur à bord pour obtenir la licence de pêche, une mesure largement bienvenue. Cette obligation n’implique pas qu’il y ait un observateur à bord de chaque bateau mais ils ne peuvent les refuser lorsque ceux-ci se présentent au quai pour embarquer. Qu’en est-il des observateurs français ? En France, la présence des observateurs n’est pas obligatoire sur les bateaux et est soumise au bon vouloir des capitaines. A titre d’exemple, les observateurs font actuellement l’objet d’un boycott par l’Union française des pêcheurs artisanaux dans le Golfe de Gascogne, qui refusent la présence d’observateurs à bord tant que la mesure d’interdiction de la pêche décidée par la commission européenne n’est pas levée. Ce boycott pourrait prendre fin suite à l’annonce par la ministre Agnès Pannier-Runacher, d’une enveloppe d’aide de 20 millions d’euros afin d'indemniser la perte d’activité des pêcheurs et mareyeurs du fait de cette fermeture. Les pêcheurs français pêchant dans les eaux africaines ont refusé la présence d’observateurs mandatés par les pays africains et cela depuis 2011. Au sujet des entreprises intermédiaires, et pour le recrutement des observateurs, l’ifremer fait appel à de la sous-traitance exclusive. Ce sont désormais des bureaux d'études privés qui forment les observateurs avec un statut plus précaire que celui des agents ifremer qui existaient auparavant. Actuellement, on dénombre 50 observateurs pour 4 000 bateaux de pêche en France selon un reportage de France inter. L’année dernière, seuls 330 bateaux les ont acceptés et l’ifremer souhaiterait voir ce chiffre doubler afin de solidifier ses données. Vers une profession plus sûre et plus performante ? Si le métier d’observateur embarqué est un métier à hauts risques, il n'en demeure pas moins un métier essentiel au monde de la pêche. Il convient donc de mettre en place des mesures visant à renforcer la sécurité des observateurs. La Fondation de la Mer, dans son rapport sur la pêche illégale, préconise de passer par des moyens coercitifs tels qu’une protection militaire à bord et une formation militaire des observateurs avec la mise à disposition de moyens de communication avec l’armée de sa nationalité en cas de besoin. La Fondation de la Mer suggère également la présence obligatoire de deux observateurs à bord ainsi que la mise en place d’une structure salariale des observateurs sous contrôle gouvernemental. De nombreuses pistes existent pour faire évoluer ce métier essentiel aux avancées scientifiques, environnementales et écologiques. Partager cet article: Partager sur FacebookPartager sur TwitterEnvoyer à un amiCopy to clipboard Poursuivez votre lecture Récifs coralliens de Raja Ampat : des avancées majeures dans le programme de restauration 14.01.2025 Lire la suite Au chevet des tortues marines en République du Congo 06.01.2025 Lire la suite COP16 désertification en Arabie Saoudite “On pense que le désert c’est loin. C’est totalement faux” 17.12.2024 Lire la suite Voir toutes les actualités