Article publié le 05/08/2024

Les membres de l’Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM) se sont réunis à Kingston en Jamaïque pour sa 29e session du 15 juillet au 2 août 2024, pour avancer sur le projet d’un code minier international. • La réunion s’est achevée par l’élection d’une secrétaire générale plus soucieuse de l’environnement. « Nous avons remporté une importante victoire d'étape », se félicite-t-on au cabinet du secrétariat d'Etat chargé de la mer, Hervé Berville. 

L’AIFM est une organisation internationale créée sous l’égide de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM), le 16 novembre 1994. Cette organisation autonome est la seule à détenir des pouvoirs de gestion sur la Zone. Cette appellation, qui peut paraître mystérieuse, fait référence aux fonds marins situés au-delà des limites des juridictions nationales. L’AIFM compte aujourd’hui 169 membres : 168 États et l’UE.

Le mandat de l’AIFM concerne la mise en place de “règles, règlements et procédures relatifs au partage équitable des avantages financiers et autres avantages économiques tirés des activités menées dans la Zone”. Cette réglementation encadrant l’exploitation minière des fonds marins est aussi appelée “le code minier”. L’AIFM a également pour obligation de protéger les fonds marins considéré comme “patrimoine commun de l’humanité”. 

Le mandat de l’AIFM est large et peut sembler paradoxal : allier la protection de l’environnement et la promotion des activités minières sous-marines (notamment à travers son activité normative). Deux intérêts majeurs, parfois difficiles à réconcilier sont en jeu, l’environnement et l’économie. 

Qu’est ce que le code minier ?

C’est un ensemble de règles, réglementations et procédures émises par l’AIFM pour réglementer la prospection, l'exploration et l'exploitation des minéraux marins dans la Zone internationale des fonds marins. Ces espaces renferment en effet des terres et minerais rares, nécessaires pour la transition écologique et énergétique initiée par nos générations. On y trouve par exemple du nickel, du cobalt, du cuivre et ou du manganèse, utilisés pour les batteries de voitures électriques.
Les passages sur la prospection et l’exploration ont déjà été élaborés et ne sont plus au cœur des débats aujourd’hui. Il reste donc la question cruciale de l’exploitation minière et des risques associés. Des études simulant des activités minières ont été menées et la biodiversité n’a pas retrouvé son état initial, même plus de 40 ans après les tests. Une faune et une flore encore méconnue risque de disparaître lors de ces exploitations. 

Lire notre rapport sur les grands fonds marins

L’AIFM a pour objectif d’adopter le code minier en 2025. Toutefois, même si cette hypothèse s’avèrerait vraie, cela ne veut pas dire que l’exploitation minière pourra commencer en 2025, puisque la validation par l’AIFM un processus lent. Il faudra par exemple que l’Autorité accepte le plan de travail, et que ce plan de travail permette un niveau suffisant de protection de l’environnement, via notamment des études d’impacts. 

L’AIFM est soumise à une pression depuis que l’État insulaire de Nauru a annoncé, le 25 juin 2021, qu’il utiliserait la “règle des deux ans”. Cette dernière oblige le Conseil à finaliser l’élaboration du code sur l’exploitation minière d’ici le 9 juillet 2023. Conformément au paragraphe 15 de la section 1 de l’Accord de 1994, si un État soumet une demande d’approbation de son plan de travail pour l’exploitation minière, le Conseil doit adopter les règlements et les procédures dans un délai de deux ans. Si ce délai n’est pas respecté, le Conseil doit approuver provisoirement le plan de travail.

L’urgence imposée par cette règle peut être vue comme une réaction à la lenteur du système de l’AIFM, réel signe d’une frustration envers un processus normatif international souvent jugé trop long et trop prudent vis-à-vis de l’environnement. Le non-respect du délai fixé par Nauru met en péril les fonds marins, et l’enjeu pour l’AIFM est plus crucial que jamais. Au 5 août  2024, le Code n’est pas finalisé et l’emploi de cette règle par Nauru plane toujours comme une menace au-dessus de l’Autorité. 

Le cocontractant de Nauru, « the Metal Company (TMC) », semble en effet déterminé à faire valoir cette règle afin de miner rapidement, peu importe les conséquences sur l’environnement. TMC a réitéré sa volonté de commencer l’exploitation minière lors de la précédente conférence du Conseil de l’AIFM en mars 2024.

La piste du moratoire pour lutter contre l’exploitation des fonds marins

Face à Nauru ou à la Chine qui souhaitent le développement rapide de l’exploitation minière, certains États appellent de leur voeux un moratoire. C’est-à-dire la possibilité de suspendre ou d’accorder un délai à un processus juridique en cours. En l’espèce, c’est la possibilité de retarder le début de l’exploitation minière, tant que les connaissances scientifiques sur le sujet ne seront pas plus développées. 

Ceux qui prônent le moratoire sont de plus en plus nombreux, 32 États demandent désormais un moratoire, voire l’interdiction, de cette exploitation. Le nombre de pays souhaitant un moratoire augmente vite. Le Royaume-Uni rejoint cette coalition d’États le 30 octobre 2023, le Danemark a récemment affirmé son soutien lors des débats du mois de mars 2024, et le Pérou a affirmé en juin dernier soutenir également ce combat. Durant cette réunion estivale de l’AIFM, cinq nouveaux États se sont prononcés en faveur d’un moratoire :  l'Autriche, le Guatemala, le Honduras, Malte et Tuvalu. 

Malgré des avancées positives, de nombreux États ne se sont pas encore prononcés, et plusieurs encouragent l’exploitation minière, comme la Chine, Nauru, Singapour, ou encore la Norvège. 

LES CHALLENGES D'UNE NOUVELLE SECRÉTAIRE GÉNÉRALE

Si l'hypothèse du moratoire est prometteuse, de nombreux doutes entourent encore l’avenir des fonds marins, alors que certaines informations permettent de douter du mode de fonctionnement de l’AIFM et de sa transparence.

Néanmoins cette dernière session estivale de l’AIFM a permis d'élire une nouvelle secrétaire générale : la brésilienne Leticia Carvalho, 79 voix contre 34 pour l’ancien président Michael Lodge. Cette récente nomination permet ainsi à une océanographe de prendre la tête de cette organisation ce qui laisse espérer une meilleure prise en compte de la science au sein de cette autorité. Ce changement permet aussi d'éloigner Michael Lodge, qui avait de nombreuses fois été mis en cause pour sa proximité avec l’entreprise minière “the Metal Company”, ainsi que pour son manque de transparence. Madame Carvalho s'est présentée comme "un arbitre entre la science de pointe, les intérêts des entreprises et les positions concurrentes des États".  "C’est une excellente nouvelle!" commente Sabine Roux de Bézieux, présidente de la Fondation de la Mer, dans Les Echos. "En tant que scientifique (elle est océanographe), chargée des questions marines au programme pour l’environnement des Nations unies, Leticia Carvalho semble à même de veiller à la protection de ce patrimoine mondial de l’humanité qu’est l’océan. Elle a des compétences que n'avait pas son prédécesseur, par ailleurs plutôt contesté."

La nouvelle secrétaire générale se trouve face à un challenge : rendre plus transparent le fonctionnement de l’AIFM.

Chaque État a en effet une voix équivalente, alors même qu’une grande partie du budget de l’AIFM provient des contributions étatiques, en fonction des capacités financières de chaque État. Certains États contribuent donc beaucoup, comme la Chine à hauteur de quasiment 1,8 millions de dollars, tandis que d’autres, comme Nauru, le font à hauteur d’un peu moins de 900 dollars. Or si un État ne paye pas ses contributions, son droit de vote lui est révoqué (article 184 CNUDM). Dès lors, il existe de nombreux soupçons de corruption concernant le paiement de frais d’adhésion pour orienter l’issu d’un vote. Au sein de l’AIFM la règle de vote est le consensus, un seul membre peut donc tout faire basculer. 

Retarder ou imposer des conditions au paiement de ces contributions financières est une chose courante au sein des organisations internationales, c’est une manœuvre diplomatique forte de plus en plus utilisée par les États. Le paiement des contributions est hautement diplomatique et indique si l’État qui règle sa contribution est en phase avec le fonctionnement de l’organisation ou non. Le poids diplomatique est bien sûr largement dépendant du coût des contributions attendues. 

Au-delà des contributions étatiques, l’Autorité est aussi grandement financée par les contrats conclus avec elle. Pour chaque contrat de licence conclu, l’AIFM reçoit 500 000 dollars américain (article 13, Annexe III).  À cela s’ajoute une redevance annuelle de 47 000 dollars par contractant. La stabilité économique de l’organisation dépend donc de ces contrats. On comprend donc que la piste du moratoire n’ait pas le vent en poupe en Jamaïque, car elle priverait l’AIFM d’une source conséquente de revenu.

image de couverture : Les grands fonds sont parfois tapissés de nodules polymétalliques. Ils abritent des formes de vie fragiles, comme ce Relicanthus (un cnidaire). © C. Smith & D. Amon, ABYSSLINE Project