Article publié le 23/05/2024

L’Alliance des petits États insulaires forme un groupe de 39 États membres, confrontés à des enjeux économiques, sociaux et environnementaux uniques. Montée des eaux, érosion du littoral, événements météorologiques extrêmes et blanchissement du corail, les États insulaires, bien que peu polluants, subissent de plein fouet ces effets. Carola Kloeck, spécialiste de l’adaptabilité et de la gouvernance des petits États insulaires face au changement climatique, revient ici sur leurs capacités d’adaptation et leur résilience au fil des décennies.

Les difficultés des États insulaires face au changement climatique

Les petits États insulaires en développement, bien qu’ayant des caractéristiques communes, forment une catégorie très hétérogène. Ces territoires varient notamment par leur taille mais aussi, et surtout, par leur économie. Si les difficultés concrètes rencontrées par ces États ne sont pas nécessairement similaires, ils ont néanmoins des défis communs. Carola Kloeck le souligne : “les difficultés peuvent venir de défis politiques et diplomatiques. Dans les États insulaires, l'administration et le corps diplomatique sont assez restreints (en raison du nombre de personnes vivant sur ces territoires). L’exemple des Tuvalu est un cas extrême avec une population de 10 000 habitants, dont seulement deux personnes avec des diplômes universitaires au moment de leur indépendance, en 1978. Cela pose des limites de gouvernance.”

Les solutions mises en place par les États insulaires

Si les difficultés rencontrées sont plurielles, il en va de même pour les solutions envisagées par ces États. “Les “solutions” mises en place sont totalement différentes en fonction de leurs implications et des contextes de chaque territoire” confirme Carola Kloeck.

En raison d’un manque de gouvernance sur certains territoires, il ne s’agit pas tellement d’adaptations économiques globales, mais plutôt de projets locaux. “La stratégie dominante est l’adaptation lourde, comme la construction de digues, qui est souvent mal faite et mal adaptée faute de moyens et d'expertises suffisantes. Les Comores par exemple construisent beaucoup de digues alors que ce n’est pas une solution durable”.

En effet, la construction de digues nécessite souvent une extraction considérable de sable, ce qui vient paradoxalement participer à l’accélération de l’érosion du littoral. “Néanmoins il ne faut pas sous-estimer les capacités d’adaptation et de résilience des États insulaires qui ont réussi depuis des années à trouver les moyens pour gérer la sécheresse et les risques côtiers” ajoute Carola Kloeck.

Les États insulaires et le phénomène de “migration climatique”

Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, depuis 2008, environ 21,5 millions de personnes ont été déplacées chaque année en raison de catastrophes climatiques. Au vu du contexte actuel, de nombreux experts assurent que ce chiffre ne cessera d’augmenter rapidement dans les prochaines années, soulevant ainsi de nombreux enjeux. Les habitants des petits États insulaires font partie des personnes qui devront nécessairement se déplacer à moyen terme.

Le récent Accord entre l’Australie et les Tuvalu sur l’asile climatique soulève par ailleurs la non-reconnaissance internationale du statut de “réfugié climatique”. Carola Kloeck précise d’ailleurs que “dans le Pacifique, beaucoup d’habitants rejettent le terme de réfugiés qui a une connotation très passive et négative. Les Kiribati par exemple ont introduit le concept de “migration avec dignité”.

De même, selon Carola Kloeck, “Il faut faire la différence entre la relocalisation au niveau local et les migrations internationales”. En effet, pour la plupart des habitants, il s’agit essentiellement aujourd’hui d’une relocalisation au niveau local ou encore un mouvement des îles plus périphériques vers les centres urbains.

D’autres solutions existent : “les îles Fidji sont pionnières, elles ont mis en place des programmes pour identifier les villages à déménager à l’avenir, et ont déjà exécuté certains projets”.

L’influence des États insulaires dans les négociations internationales

Initialement les négociations intergouvernementales se font entre États souverains et égaux, il existe cependant “une grande inégalité et les petits États insulaires ont du mal à se faire entendre” pour Carola Kloeck.

Afin de s’imposer sur la scène internationale, certains États insulaires ont appelé à se coordonner pour avoir une force collective. C’est ainsi qu’a été créée l’Alliance des Petits États Insulaires (en anglais Alliance of Small Island States, en abrégé AOSIS) en 1990, qui est d’ailleurs le premier groupe interrégional au sein de l’ONU. Cette alliance a pour but de mieux porter la voix des petits États insulaires face au changement climatique et notamment à la submersion de leur territoire. “Cette Alliance a vraiment eu un succès surprenant malgré sa petite taille et l’absence totale de pouvoir politique, économique ou militaire. Ils ont montré qu’ils pouvaient tout de même influencer les négociations.

source : https://www.aosis.org/

Cette Alliance espère maintenant que la législation interne de chaque pays évoluera pour diminuer leurs impacts sur le changement climatique, et donc sur la menace qui pèse sur ces États insulaires.

Ces défauts de gouvernance soulèvent plusieurs enjeux. En effet, si le “Fonds Pertes et Dommages” adopté en 2023 dans le cadre de la COP 28 a décidé de prioriser les pays les plus vulnérables, ce sont malheureusement aussi ceux qui sont parfois les moins bien gouvernés. Ainsi, ne vaut-il  pas mieux investir dans des États mieux gouvernés mais où les risques sont “moins urgents” ? Enfin, au-delà de la distribution d’aides financières, il s’agirait surtout de modifier les façons de gouverner et d'investir dans les projets d’adaptation face au changement climatique.

Le 21 mai 2024, le tribunal international du droit de la mer a rendu une décision historique 

Le 21 mai, le Tribunal international du droit de la mer a rendu sa réponse à la demande qui lui avait été soumise par la commission des petits États #insulaires sur le changement #climatique et le droit international.

Quelles sont les obligations particulières des États parties à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (« la CNUDM » ou Convention de Montego Bay)
1️⃣ de prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin eu égard aux effets nuisibles qu’a ou peut avoir le changement climatique, notamment sous l’action du réchauffement des océans et de l’élévation du niveau de la mer, et de l’acidification des océans, qui sont causés par les émissions anthropiques de gaz à effet de serre dans l’atmosphère ?
2️⃣ de protéger et préserver le milieu marin eu égard aux incidences du changement climatique, notamment le réchauffement des océans et l’élévation du niveau de la mer, et l’acidification des océans ?

Cet avis est historique car c’est le premier tribunal international qui se prononce sur les obligations des États en matière de protection de l’environnement. (C’est aussi le premier de trois juridictions internationales à se prononcer sur le sujet. On attend encore la réponse de la CIJ et de la CIDH).

1️⃣ Réponse à la première question : Les émissions anthropiques de GES dans l’atmosphère constituent une pollution du milieu marin.
Les États doivent prendre des mesures pour réduire et maîtriser ceci en prenant en compte les connaissances scientifiques disponibles sur le sujet. Cette obligation incombe aux États, cela fait partie de l’obligation de diligence requise. Le tribunal met en avant l’importance de mettre en œuvre ces obligations tout en prenant en compte que les États ne disposent pas tous des mêmes ressources.

2️⃣ Réponse à la deuxième question : les États Parties ont l’obligation particulière de protéger et de préserver le milieu marin des incidences du changement climatique et de l’acidification des océans.
Là où le milieu marin a été dégradé, cette obligation peut appeler des mesures de restauration des habitats et des écosystèmes marins.